Lutte contre les violences sexuelles et sexistes : la Ville Rose face à une déferlante violette
Quatre ans, douze semaines de grenelle, des dizaines de hashtags militants et 543 féminicides plus tard, retour sur la manifestation organisée par le collectif #NousToutes le dimanche 21 novembre 2021 à Toulouse pour interpeller le gouvernement.
Dimanche 21 nombre, 10h – l’heure de la réflexion
Cinq jours avant la journée internationale visant à l’élimination de la violence à l’égard des femmes, de nombreux·ses manifestant·es se donnent rendez-vous au cours d’une semaine pour s’unir autour de revendications communes. À l’initiative du collectif #NousToutes, et soutenues par de nombreuses organisations militantes, près d’une soixantaine de marches sont organisées dans toute la France pour se mobiliser contre les violences sexistes et sexuelles, visant particulièrement les femmes, les enfants et les personnes transgenres.
Comme pour crier que ces violences ne sont pas une fatalité, le collectif appelle au regroupement collectif à l’occasion de la journée mondiale des droits de l’enfant et du souvenir trans.
À six mois de la prochaine élection présidentielle, dans un climat défavorable où nombreux récits médiatiques demeurent hostiles à certaines minorités, cette manifestation s’affiche comme le temps du bilan d’un quinquennat qui attribuait le label « grande cause » au thème de l’égalité femmes-hommes. Mais plus que cela, s’inscrit surtout le moment d’exiger pour les collectifs et associations des engagements fermes et transparents de la part du gouvernement sur ces problématiques. Particulièrement présente sur les réseaux sociaux et mobilisée contre une pluralité de violences envers les minorités, l’organisation organise depuis 2018 ces manifestations afin d’interpeller les politiques et de faire évoluer la conscience collective.
Infographie mettant en avant des chiffres liés aux violences sexuelles et sexistes – Données recensées par le collectif #NousToutes entre 2017 et 2020 © Oihana Vercruyssen.
Dimanche 21 nombre, 14h - l’heure des retrouvailles
Alors que la marche débute dans une trentaine de minutes, des centaines de personnes, majoritairement des femmes, sortent du métro pour rejoindre cortège. Démarrant des Ramblas, le cortège prévoit d’emprunter les boulevards pour arriver au Monument aux Morts et revenir au point de départ.
Comme pour témoigner d’une totale d’adhésion, nombreux·ses sont celles et ceux muni·es d’un masque violet, symbole de la lutte contre les violences faites aux femmes et couleur privilégiée du collectif organisateur.
Préparées en amont de la manifestation, de nombreuses pancartes sont distribuées, toutes plus explicites les unes que les autres : « on ne naît pas femme mais on en meurt », « détruisons le patriarcat, pas la planète », « on connait tous.tes une victime mais personne ne connait de violeur », « solidarité avec les femmes du monde entier »…
Le récit est clair, les Toulousain·es crient leur colère et en ont « ras le viol ».
Différents collectifs, associations et syndicats sont également venu·es faire entendre leur voix en ce dimanche. Parmi ces partenaires sont présent·es l’association féministe de Sciences Po Toulouse « Sansculottes31 », le groupe d’entraide transféminine « Meufs Trans Toulouse » ou encore le collectif étudiant·e « NousToutesRiveGauche ».
Alors qu’en 2020 la crise sanitaire et ses nombreuses restrictions avaient complexifié l’organisation de toute manifestation dans les rues et avait été déclinée de manière virtuelle, ce dimanche s’annonce deux fois plus révolté.
Pancarte brandie pendant la marche toulousaine – 21 novembre 2021 © Oihana Vercruyssen.
Dimanche 21 nombre, 14h40 - l’heure des revendications
Tandis que le cortège ne cesse d’emplir, une représentante du collectif NousToutes31 s’installe face à la place Wilson et ouvre la marche. Face à nous, elle livre un discours dont les motivations pour justifier de cette rencontre sont déclinées de façon passionnée et poignante.
Nous vivons dans un monde où les choses avancent trop lentement. Nous voulons un monde où la domination masculine est définitivement abolie, où la charge mentale n’existe plus, où l’écart salarial n’est plus un sujet. Un monde sans aucune violence sexiste ou sexuelle, où l’inceste n’est plus toléré et où les identités de genre et orientations sexuelles sont respectées.
Entre constat chiffré, mise en avant de la libération de la parole depuis les mouvements MeToo et BalanceTonPorc, manque d’écoute et d’intérêt porté entre autre par les prises de positions politiques, mémoire aux femmes tombées sous les coups, la foule peut alors s’avancer remplie d’une force et d’une émotion perceptibles et partagées.
Ces faits ne se présentent cependant pas ici comme des nouveautés, les mouvements sociaux en ligne tels que « #BalanceTonBar », « #DouplePeine » ou encore « #MeTooPolitique », ayant éclos en l’espace de seulement trois mois, ont d’ores-et-déjà réveillé les consciences militantes déjà bien préoccupées.
Marcher pour dire stop aux violences patriarcales, dépasser les frontières virtuelles, c’est ce qui a motivé près de 1200 personnes qui se sont déplacées dans le centre-ville de Toulouse aujourd’hui.
Dimanche 21 nombre, 15h33 - l’heure d’un bien triste constat
Carte interactive des féminicides par compagnons ou ex en France – 2021 © Collectif de recensement des féminicides par compagnons ou ex en France.
Le cortège chemine dans les rues toulousaines, et une revendication particulière scandée par les marcheur·euses raisonne. Face à des statistiques de plus en plus effrayantes, ces dernier·ères usent de leur voix pour celles qui n’en n’ont plus, comme un appel à être enfin reconnues légitimes dans leur combat. Nous y sommes, 2021 touche à sa fin et le bilan national est clair : 101 femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon au cours de l’année au départ de la marche. Ce chiffre dramatique, qui aura très certainement augmenté d’ici le 1er janvier 2022, est « insupportable » pour celles et ceux mobilisé·es ce dimanche.
Le collectif « Féminicides par compagnons ou ex », recense sur les réseaux sociaux numériques les femmes décédées à la suite de violences conjugales. La zone en mixité choisie déployée afin de garantir un espace sécurisant pour les victimes présentes, donne le tempo à la foule et fait passer un message :
Nous venons te dire que plus jamais nous nous tairons, nous venons te dire que nous ne tolérons plus aucune forme de violence.
À Toulouse sont dénoncées les violences conjugales, mais aussi l’inceste, la pédocriminalité, les LGBTphobies et la propension d’être davantage victimes de violences patriarcales pour les femmes racisées.
Face à la mobilisation collective, ces cris sont adressés au gouvernement, considéré comme seul pouvoir capable d’actionner des leviers à des fins politiques et de santé publique.
Dimanche 21 nombre, 16h30 - l’heure des engagements
Nous l’entendons cet après-midi, les revendications féministes sont plus stridentes que jamais. Pourtant elles sont le résultat de décennies de domination présente et décriée en de nombreux points. Au moment de l’investiture du Président de la République, Emmanuel Macron, l’égalité femmes-hommes semblait pour la première fois être un enjeu majeur des cinq prochaines années. Pour certain·es, un espoir d’égalité se dessinait enfin. Néanmoins, qu’en est-il, à six mois de la prochaine élection, des positions gouvernementales sur ces questions ?
Timeline retraçant différentes étapes des mesures mises en place concernant l’égalité femmes-hommes entre 2017 et 2021 – 2021 © Oihana Vercruyssen.
Le bilan reste aujourd’hui à nuancer et les organisations féministes interpellent plus que jamais le pouvoir en place sur les politiques publique mises en place, considérées comme inefficaces, voire inappropriées. Le budget consacré à cette lutte s’élève à 360 millions d’euros, alors que bon nombre d’associations estime qu’un milliard d’euros serait nécessaire afin de réellement enrayer ces violences et discriminations.
Vidéo traitant des violences sexuelles et sexistes par une militante du collectif #NousToutes – 20 novembre 2021 – © l’OBS.
De réelles mesures de prévention sont toujours attendues, l’éducation des plus jeunes est considérée comme un axe majeur d’action pour anéantir ces schémas structurels et redondants. Les mesures mises en place pendant le Grenelle de 2019 sont encore considérées comme inefficaces et mal appliquées.
Des efforts sont demandés quant à la création de places dans les centres d’hébergement, encore parfois inadaptés, pour les victimes fuyant leur conjoint. Un accompagnement global doit être envisagé selon ces organismes, qu’il soit juridique, psychologique ou matériel. Alors que la parole s’est en effet libérée mais reste encore délicate, les militant·es attendent des instances publiques une réelle écoute et prise en charge. Le climat ambiant d’impunité a été dénoncé pendant les trois heures de marche, en rappelant la position du gouvernement face à la prise en charge des victimes. La nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, visé par plusieurs actions judiciaires concernant des faits d’agressions sexuelles, avait été perçue comme un coup dur pour les collectifs féministes en juillet 2020.
Dimanche 21 nombre, 18h - militer n'a pas d'heure...
En rentrant de la marche, des manifestantes échangent dans le métro, se remémorant avec ironie la réaction d’Emmanuel Macron en novembre 2019. Alors que le pays avait connu une « marche historique » où près de 150000 personnes s’étaient réunies, le collectif #NousToutes avait appelé le président à être au rendez-vous le lundi suivant afin de répondre à cette mobilisation notable. La réponse de ce dernier fut sans appel, un simple tweet.
J’adresse mon soutien à chaque femme qui a vécu des violences sexistes ou sexuelles.
Comptez sur moi pour poursuivre la mobilisation du gouvernement et de la Nation entière dans cette grande cause.
Besoin de l’engagement de chacun(e) pour #NeRienLaisserPasser.#NousToutes— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 23, 2019
Tweet d’Emmanuel Macron – 19 novembre 2019 © Emmanuel Macron.
Si la « grande cause » du quinquennat existe, on peut se demander si l’éthique en politique existe. Réel engagement ou appropriation d’un sujet sociétal sensible et sur-exposé ? L’interrogation est plus que jamais présente… Si les marques usent du purplewhasing pour faire la promotion de leur image, les politiques s’emparent aussi de ces thématiques dans leurs discours mais les mesures déployées sont rarement considérées à la hauteur du problème.
La demande est là, une politique publique d’ampleur pour réclamer justice à la moitié des habitant·es de France.
Story retraçant la manifestation – 21 novembre 2021 © Oihana Vercruyssen.