Faut-il encore fêter Halloween ?

Léa Crocetti

Faut-il encore fêter Halloween ?

Faut-il encore fêter Halloween ?

Léa Crocetti
16 janvier 2022

Chaque année, les rayons de nos magasins nous proposent une multitude de déguisements à l’approche du 31 octobre. Les sorcières, aliens et vampires côtoient les Indiens, les geishas et tant d’autres qu’on ne sait plus quoi choisir. Pourtant, aujourd’hui, les costumes qu’on enfile n’ont plus rien de ludique, mais tout de politique. Outre-Atlantique, ils deviennent sujets de discorde sur les réseaux sociaux. Certaines minorités s’insurgent même contre ce qu’elles voient comme de l’appropriation culturelle. Sensibilité mal placée ou véritable problème de société ? On vous explique pourquoi Halloween fait tant débat.

UNE QUESTION QU’ON SE POSE DEPUIS PLUS D’UNE DIZAINE D’ANNEES

La problématique revient tous les ans à l’approche d’Halloween. Vous ouvrez les réseaux sociaux et vous voyez passer des hashtags, des posts et même des danses tiktok sur le sujet. Le ton sonne implorant, critique, informatif parfois, mais le message reste le même : tous vous conjurent de ne pas enfiler des tenues supposément « représentatives » de différentes ethnies pour partir à la chasse aux bonbons.

@the_land Appreciate > Appropriate! We call them “Regalia” #foryou #fyp #indigenous #native #culture #nativeamerican #halloween #learn ♬ Crow Hop – Northern Wind

@notoriouscree Spread the word! #native #indigenous ♬ Crow Hop – Northern Wind

Melemaikalanimakalapua, TheAsianTalk, AinaMomona ou encore TheLand et NotoriousCree – dont vous venez de voir les vidéos TikToks – font partie de ces voix qui s’élèvent face au port de costumes jugés offensants. Mais ils ne sont pas les premiers.

Déjà en 2011, les étudiants de l’université d’Ohio lançaient une campagne de sensibilisation à l’approche d’Halloween. Leur slogan ? We’re a culture, not a costume (traduit mot à mot « Nous sommes une culture, pas un déguisement »). L’objectif est simple : alerter sur des déguisements jugés stéréotypés voir méprisants qui ne devraient pas être portés par respect pour les cultures caricaturées.

Pourquoi Halloween pose-t-il problème a certaines minorités ?

Ce n’est qu’un déguisement en vrai. Il faut bien rigoler le temps d’une soirée. Il n’y a pas mort d’homme… La liste des propos minimisant la problématique perçue par les minorités peut se poursuivre longtemps. Après tout, personne ne pense à mal en enfilant son déguisement d’Halloween.

Au fond qu’est-ce qui dérange tant ?

Derrière le costume, c’est en réalité la représentation biaisée et dégradante de cultures qui ont déjà bien du mal à se faire entendre, qui pose problème. C’est du moins ce qu’expliquent les principaux concernés comme Melemaikalanimakalapua, influenceuse sensibilisant autour de la culture Hawaïenne et des problématiques rencontrées par les Kānaka maoli  (natifs d’Hawaii).

« La plupart des tenues sexualisent la culture Hawaiienne et véhiculent des stéréotypes inexacts. Un peuple natif ne devrait jamais être vu comme un « déguisement » ou un « thème » » – traduction des propos de Melemaikalanimakalapua

Le déguisement comme forme d’oppression : l’exemple du black face

Le black face illustre particulièrement bien le problème. Vous savez cette pratique qui consiste à se grimer en personne noire à l’aide d’un maquillage recouvrant le visage et d’une perruque afro ? Même en France, on s’accorde à traiter ce déguisement de raciste, parce que le black face évoque :

Aujourd’hui tout le monde s’indigne devant un cas de black face. C’est ainsi qu’en 2020, le Slip Français licencie des salariés aperçus grimés en noirs dans une vidéo tournant sur les réseaux sociaux.

La même consternation ne se fait pourtant pas systématiquement entendre devant les déguisements d’Indiens, de Chinois, d’Arabes… On trouve ça ludique. On ne se pose pas de questions.

Seulement, la même logique est à l’œuvre lorsqu’on enfile une coiffe de plumes en plastique que lorsqu’on se peinturlure le visage en noir. Les populations visées par ces costumes sont elles aussi stéréotypées, sexualisées, parfois dénigrées. Cette offense s’inscrit dans un contexte d’oppression de ces minorités.

 

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Interrogé par CNN, William Jelani Cobb, professeur d’études africaines et auteur du livre The Substance of Hope : Barack Obama and the Paradox of Progress l’explique ainsi :

« Ce qui se cache derrière ce type de déguisement, c’est la croyance que ces personnes ne sont pas tout à fait nos égales, ou qu’elles ne sont pas autant américaines que nous le sommes, ou encore que vous, en tant que personne n’appartenant pas à ce groupe culturel, vous avez la possibilité de dicter à quel point le stéréotype peut blesser » – traduction des propos de William Jelani Cobb pour CNN

PARALLÈLE AVEC LES COMMUNAUTÉS NATIVES – Le cas est particulièrement frappant pour les indigènes du Canada et des Etats-Unis. Les Premières Nations, les Inuits, les Métis, les Kanaka Maoli, les Navajos… Toutes les groupes dits natifs subissent encore une oppression particulièrement forte. Aujourd’hui, les massacres et les politiques d’assimilation laissent place à d’autres problématiques comme le manque d’accès à l’eau potable dans les réserves, le prix de la nourriture particulièrement élevé sur les territoires inuits, le coût de l’immobilier trop important à Hawaii poussant les natifs à quitter leur île où à vivre à la rue, le taux d’homicides et de disparitions quatre fois plus important pour les femmes autochtones en comparaison avec toutes les autres femmes du Canada… À côté de tout cela, les polémiques autour d’Halloween peuvent sembler ridiculement inutiles.

Mais même avec un impact moindre les déguisements caricaturaux font bel et bien partie de ce système d’oppression à un niveau symbolique selon les minorités concernées. Ils véhiculent des clichés particulièrement erronés qui viennent effacer la véritable identité de ces cultures dans les représentations populaires.

Autre problème : l’appropriation culturelle

Il ne faut pas oublier non plus qu’Halloween reste une fête mercantile. Ainsi, ces costumes stéréotypés empruntent des éléments symboliques, parfois sacrés, des cultures ‘’représentées’’ à des fins commerciales. Et cela n’est pas moins que de l’appropriation culturelle, comme le rappellent les minorités indignées par de telles pratiques.

Dans un entretien au Monde, le sociologue Eric Fassin nous explique que le concept d’appropriation culturelle se développe dans le milieu artistique à la fin du XXème siècle grâce à des critiques noires comme Bell Hooks ou Coco Fusco. Il définit le terme comme suit :

« Il s’agit de récupération quand la circulation s’inscrit dans un contexte de domination auquel on s’aveugle. L’enjeu n’est certes pas nouveau : l’appropriation culturelle, au sens le plus littéral, remplit nos musées occidentaux d’objets « empruntés », et souvent pillés, en Grèce, en Afrique et ailleurs. La dimension symbolique est aujourd’hui très importante. » – Eric Fassin

Plus généralement, l’appropriation culturelle est aussi liée à l’usage commercial de symboles ou d’objets propres à certaines cultures sans qu’eux-mêmes puissent en tirer le moindre bénéfice. Halloween n’est pas le seul exemple. À vrai dire, les artistes ou les marques sont fréquemment taxés d’appropriation, à tort ou à raison.

Mais qu’en pense-t-on en France ?

Le discours autour de l’appropriation culturelle circule beaucoup plus en Amérique du Nord que dans l’Hexagone. Chez nous, il fait particulièrement polémique selon Eric Fassin :

« En France, on dénonce volontiers le communautarisme… des « autres » : le terme est curieusement réservé aux minorités, comme si le repli sur soi ne pouvait pas concerner la majorité ! C’est nier l’importance des rapports de domination qui sont à l’origine de ce clivage : on parle de culture, en oubliant qu’il s’agit aussi de pouvoir. » – Eric Fassin

Dans les faits, on s’interroge encore peu sur les questions d’oppression et d’appropriation culturelle en France. Potentiellement, car les notions de communautés et de minorités imprègnent moins notre société qu’Outre-Atlantique. Mais l’invisibilisation de ces problèmes ne les fait pas disparaître pour autant.

Alors faut-il vraiment arrêter de fêter Halloween ?

Nous nous posions cette question en début d’article. Si vous avez suivi notre raisonnement, vous comprenez déjà que ce n’est pas Halloween en tant que tel qui pose problème, mais les costumes que l’on arbore qui véhiculent des stéréotypes blessants sur des cultures auxquelles nous n’appartenons pas. La problématique pourrait donc également se poser lors de nos traditionnels carnavals ou simplement pour nos soirées déguisées entre amis. Ainsi, afin que vos futures fêtes costumées restent respectueuses et bienveillantes nous vous offrons quelques conseils.

 

Pas question donc, d’abandonner purement et simplement Halloween, mais d’y participer de manière plus attentive et plus réfléchie, en prenant conscience que nos choix, même anodins, peuvent porter atteinte à d’autres individus.