L’éthique, la nouvelle griffe indispensable des maisons du luxe

Chloé Vigouroux - 16 janvier 2022

L’éthique, la nouvelle griffe indispensable des maisons du luxe

L’éthique, la nouvelle griffe indispensable des maisons du luxe

Chloé Vigouroux - 16 janvier 2022
Ganada Groose, Valentino, Saint  Laurent, Brioni, toutes ces marques ont annoncé, le mois dernier, mettre fin à l’utilisation de la fourrure animale. Une décision saluée par les associations mais aussi et surtout par de nombreux consommateurs. Cette évolution fait écho aux nombreux mouvements sociaux qui ont touché le monde entier. Portés par l’opinion publique, des sujets tels que l’environnement et la cause animale ont marqué l’année 2021. L’industrie de la mode semble aussi tendre l’oreille à ces procurations et petit à petit un changement s’opère grâce à une politique RSE plus engagée, mais est-ce suffisant pour les consommateurs ?

La génération Z, moteur de la révolution sociétale et éthique 

Ces dernières années nous observons une petite révolution sociale remettant en cause notre consommation. Les français sont toujours plus soucieux de l’impact des produits qu’ils consomment, qu’ils soient alimentaires ou vestimentaires.

Cette prise de conscience du “mieux consommer” est en grande partie amenée par les jeunes : une génération qui semble plus sensible aux préoccupations environnementales. Au fil des années, leurs convictions d’un monde plus responsable se sont étendues à l’ensemble des classes d’âge, faisant de la plupart des consommateurs des ambassadeurs du développement durable. Les millennials, qui regroupent les personnes nées entre 1980 et la fin des années 1990, et la génération Z comprenant les personnes nées en 1996 et 2010, s’imposent comme les plus engagées.

Une envie de consommation durable et éthique

Deux grands mouvements sont au cœur de toutes les préoccupations : l’environnement et l’éthique.

Le développement durable, après plusieurs crises économiques, environnementales et plus récemment, la crise sanitaire engendrée par la Covid-19, est devenu une inquiétude majeure. Pendant le confinement nous voyons des scènes oubliées depuis longtemps : des renards dans les parcs parisiens, des dauphins qui découvrent le port de Cagliari, les oiseaux qui chantent dans les villes… La nature reprend le dessus dans les espaces désertés par les humains et les partages positifs sur les réseaux sociaux sont nombreux. Ce regain de nature est apprécié, et l’on accueille ce ralentissement de l’activité humaine comme une promesse d’un nouveau départ. Ce qui amène à pointer du doigt de nombreux secteurs économiques comme étant les principaux responsables de ces pollutions quotidiennes. Les transports, l’aéronautique, la mode sont alors mis en cause, et l’industrie du luxe en fait partie. Dès lors, la tendance semble être d’augmenter la valeur économique «qualitative» de l’entreprise au détriment de sa valeur économique «quantitative».

«la Covid-19 n’a pas agi comme un moteur de révolution mais comme un accélérateur des tendances préexistantes, à l’image de la montée en puissance des attentes environnementales de la part des opinions publiques et des consommateurs». Hélène Valade, Directrice du Développement Environnemental du Groupe LVMH

L’environnement préoccupe les citoyens, mais pas seulement. La notion d’éthique prend une grande place dans la décision d’achat. Les conditions de fabrication des produits sont scrutées à la loupe par de nombreux consommateurs. Ils  regardent la provenance des matières premières, si le produit est soumis à des tests sur les animaux, les conditions de travail des personnes réalisant les produits. Ces intérêts ne sont pas si soudains, depuis plusieurs années le monde du luxe est scruté et leurs faux pas largement décriés.

Les scandales d’un monde si luxueux

Time-line retraçant quelques grands scandales dans le monde du luxe.

 

Ces derniers scandales sont connus de tous en raison des partages massifs sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, lorsqu’une marque fait un écart ou commet une erreur, ce sont des milliers ou même des millions de personnes qui réagissent, d’où l’importance de maintenir une bonne image. Vidéos, témoignages, infographies… les preuves sont partagées et re-partagées en masse sur Instagram, Twitter, Facebook et même Linkedin.  Elles viennent en totale contradiction avec l’image de la perfection et du raffinement qu’ils souhaitent transmettre au quotidien.  Un mal d’autant plus important dans l’hexagone, vantant un “luxe à la française »,  mais qui souvent exploite des travailleurs dans les pays pauvres. Nous sommes loin du travail artisanal et authentique sur lequel ils fondent leurs valeurs.

L’exposition de ces marques a engendré de véhémentes oppositions et la diffusion d’informations diffamantes par des médias et comptes dédiés (le compte Instagram @Dietprada dénonce les agissements des acteurs de la mode par exemple, ou l’outil Moralscore qui permet de trouver des marques qui correspondent à nos valeurs). Aujourd’hui ce sont des consommateurs et citoyens qui lancent les mouvements publics contre ces marques, là où il y a quelques années seules les associations comme PETA luttaient (Pour une Ethique dans le Traitement des Animaux). Ils imposent aux entreprises une grande transparence et la nécessité d’agir en faveur du développement durable, de l’amélioration des conditions de travail ou du respect de la cause animale.

Les marques de luxe investissent dans la RSE

Ces générations du « I Want What I Want When I Want it » attendent des marques de luxe qu’elles s’engagent et prennent position sur des sujets aussi bien sociaux qu’environnementaux. Un changement que l’on a perçu au cours de ces dernières années avec une mise en avant par de nombreuses marques de la politique RSE (Responsabilité Sociétale d’Entreprise). 

Nous avons rencontré Lauriana, qui travaille au cabinet de Saint-Front, cabinet de conseil et audit RSE. Nous lui avons demandé de définir la RSE : 

Interview de Lauriana Hok

 

Nous voyons que l’industrie du luxe tente de modifier son image, elle investit dans la RSE pour recréer un lien avec le public, et se draper des valeurs éthiques encensées par le grand public. 

Dans le secteur de l’habillement de luxe, le groupe Kering se veut être le porte-parole de la RSE. Missionné par le président de la république, François Pinault, directeur du groupe Kering, a fondé le Fashion Pact en Août 2019. L’objectif est de réduire l’impact de la filière sur le climat d’ici 2030 à 2050. Leurs thématiques : enrayer le réchauffement climatique, restaurer la biodiversité et protéger les océans. Cette initiative connaît cinquante-six entreprises signataires, mais ne prévoit malheureusement aucune sanction en cas de non-respect des termes du pacte.

Plus que des engagements de groupes, chaque marque s’engage indépendamment sur des sujets divers, et participe à des programmes dans le cadre de leur RSE. L’un des engagements de Louis Vuitton est de proposer des produits durables en lançant sa collection Evergreen. Une collection constituée de tissus écologiques, recyclés ou invendus. Cette tendance de l’upcycling a aussi touché d’autres maisons comme Armani et Gucci en passant par la maison Margiela. 

Communiquer sur ses actions de RSE, une obligation

Agir est important, mais il faut aussi communiquer sur sa RSE pour montrer son engagement aux consommateurs. Pour cela, les grandes maisons utilisent l’image de célébrités, et s’approprient les valeurs qu’ils représentent. Kering a nommé Emma Watson au poste d’administratrice du groupe, utilisant sa notoriété et mettant en avant la parité homme / femme, valeur dont elle est fer de lance depuis des années. LVMH avait fait le choix de nommer Virgil Abloh à la tête d’une collection Homme. C’est l’un des rares créateurs afro-américains, à la renommée internationale après sa collaboration avec Rihanna pour Fenty. Le groupe s’est aussi entouré de Stella McCartney en tant que conseillère spéciale RSE, un pari réussi.

Les marques tentent de toucher de nouvelles cibles et sollicitent de nouvelles égéries.  Nous les retrouvons très investies sur les réseaux sociaux. Elles lient des partenariats avec des influenceurs comme Léna Situation (qui travaille avec Dior), Emma Chamberlain ( Louis Vuitton) et Léa Elui (Givenchy). Ces personnalités touchent  directement la cible de la génération Z. Elles ouvrent leurs portes et montrent les coulisses de l’entreprise, passent des messages positifs et inspirants. Les marques acceptent de descendre de leur piédestal, et tente de nouer une relation avec un public plus large. Elles se montrent accessibles, plus inclusives et acceptent même l’autodérision.

Une surenchère des actions éthiques pas si durables dans le temps

Les efforts fournis par toutes ces entreprises sont louables, mais quel en est le prix ? 

La recherche de cette nouvelle légitimité peut parfois avoir un effet négatif pour ces marques, en modifiant par exemple leur image auprès de leurs clients fidèles. Sans une réflexion stratégique derrière leurs actions, elles peuvent vite perdre de vue leur identité. Une stratégie RSE doit correspondre aux forces historiques de la marque, à son univers, et montrer les valeurs sur lesquelles l’entreprise se projette pour l’avenir. Sans cette lisibilité, le consommateur s’éloignera.

De plus en plus réfractaires au “marketing vert” et aux promesses creuses, les consommateurs veulent des actions. Il est donc nécessaire que les grandes maisons du luxe s’engagent dans des stratégies RSE réfléchies et pérennes.