Consommer local : l’électro n’échappe pas à la tendance

Cédric Ducla-Bouvier

Consommer local : l’électro n’échappe pas à la tendance

Consommer local : l’électro n’échappe pas à la tendance

Cédric Ducla-Bouvier
Occitanie | Toulouse

Ils ont décidé d’ouvrir à une époque où les bars ferment. N’y voyez aucune folie, les trois associés du Jenja veulent justement contrebalancer cette période morose et vous faire danser. Et avec un son électro local s’il vous plaît. Immersion. 

 

Peter mixant au bar.
Le bar a ouvert ses portes le 2 décembre dans une rue du centre historique de Toulouse. © Camille Blanc

Depuis la Daurade, engagez-vous dans les 250 mètres de la rue des Blanchers. Vous commencerez par y voir des restaurants, petits, mais célèbres pour leur cuisine locale comme le « Petit Flore » ou « Du Plaisir à la Toque ». Lorsque vous aurez descendu toute la rue, vous verrez devant vous se dessiner la place Saint-Pierre et ses bars tant appréciés par la jeunesse toulousaine.

Faites quelques pas en arrière. 

Là, arrêtez vous devant le numéro 56 de la rue. Vous le voyez ? Vous êtes devant un concentré de l’esprit local qui nourrit les restaurants que vous avez passés et de l’ambiance qui anime les bars que vous avez aperçus sur la place. 

L’espace s’organise autour d’un bar en L qui permet aux serveurs de checker vos cocktails favoris et aux DJs de mixer vos sons préférés. © Camille Blanc

Attention cependant. Bien que la rue tienne son nom des blanchisseurs de cuir qui l’occupaient au Moyen-Âge, je ne vous parle pas de la laverie qui arbore des couleurs verte et violette que le temps n’a pas réussi à préserver des assauts répétés de quelques badauds alcoolisés.

Le 56 rue des Blanchers est occupé par le Jenja (à gauche de cette laverie que vous pouvez dorénavant sortir de votre esprit). Une enseigne lumineuse en néon vert sur une peinture noire profonde vous indique le nom du lieu. Et c’est tout. Aucune autre information que ce nom mystérieux.

Une nouvelle adresse pour bouger, danser, se balancer, chalouper, se trémousser, valser, ou juste écouter

Comme vous, qui êtes maintenant curieux de connaître ce qui se cache derrière cette devanture, j’étais pressé de découvrir ce qu’il se passait derrière ces baies vitrées. Je me décide donc à partir faire cette découverte. Calcul d’itinéraire, appréciation de la température extérieure, estimation du temps qu’il me faudrait pour arriver : j’étais prêt à parcourir les quatre mètres cinquante qui éloignent mon appartement du Jenja.

Avant de continuer, plongez vous pour le reste de votre lecture dans l’ambiance du Jenja avec ce mix : 

Réalisé au Jenja en décembre, le mix de plus d’une heure est celui de Peter, disc-jockey du Club Chameau.

 

Après avoir poussé les deux portes qui me séparaient de l’intérieur, me voilà dans une petite salle. Comme les restaurants du haut de la rue, l’espace n’est pas démesuré mais justement à taille humaine. Tout est déjà là, devant vos yeux.

Ces 50m2 qui s’offrent à nous sont épurés. Peu de décoration. On remarque des panneaux de mousse, pour l’isolation acoustique, posés sur tous les murs du lieu. Le bar en bois. Quatre tables. Et c’est à peu près tout ce qui retient notre attention. À y venir avant l’ouverture, on pourrait d’ailleurs croire que toutes les tables n’ont pas encore été installées. Il n’en n’est rien. L’espace est laissé vide pour les danseurs qui se bousculeront sur le plancher le soir même. Le Jenja est un bar dansant électro.

Un endroit dans lequel on a envie de se retrouver

Camille Blanc m’accueille pour parler du projet. Il peut se résumer en une phrase.

« On a fait un bar dans lequel on a envie de se retrouver »

L’affirmation est plutôt courante pour ce genre de lieu. Pour eux, c’est l’ambition à laquelle ils aspirent. Ils ont créé ce lieu comme celui qui leur manquait pour faire la fête avec la musique qu’ils aiment. 

Marcel Lucaroni et Nicolas Lafore nous rejoignent. Les trois se connaissent depuis longtemps. Camille et Nicolas se sont rencontrés au collège tandis que Marcel jouait au football avec le frère du premier. Tous trois ont grandi à Auterive, petite ville située à une trentaine de minutes de la capitale de l’Occitanie. Ce bar, ils l’ont bâti ensemble, de leurs mains. 

Les trois propriétaires, Camille, Nicolas et Marcel ont façonné le lieu à leur image.

 

A l’origine, il y avait l’envie de faire un projet en commun. De situation sanitaire en opportunités, ils se retrouvent à monter un bar. 

Marcel nous explique :

« À la base, on avait envie de faire quelque chose ensemble. On avait même des projets sur Bali. Avec le covid c’est tombé à l’eau. Et puis on est tombés sur ce local à louer. C’est de là que c’est parti. »

De leurs projets sur Bali, ils en garderont le nom. “Jenja”, (prononcez « Jènja ») reprend le nom d’un club de l’île indonésienne qui a fermé ses portes en juillet 2019. Leurs souvenirs dans ce lieu les ont tellement marqué qu’ils décident de lui rendre hommage.

Après être tombés sur le local, ils entament la remise en beauté du lieu. Ils vont y consacrer leurs samedis, dimanches et leurs soirées en semaine. Tous ont des emplois à côté. D’ailleurs, des trois copains, seul Camille connaissait déjà le métier. Ingénieur informatique par ses études, ses différents voyages lui ont permis de tester de nombreuses boulots et notamment le métier de barman. Il est depuis devenu restaurateur à 250 mètres de là, sur la place de la Daurade. 

La musique électro pour leitmotiv

Au 56 rue des Blanchers, les toulousains ont pu connaître de nombreuses atmosphères. Dernièrement, l’adresse était habitée par un bar/restaurant qui proposait des produits locaux. Aujourd’hui, vous ne pourrez pas vous restaurer à Jenja. Mais vous pourrez écouter local. 

La musique électro est l’élément principal de la composition. Les boissons sont présentes pour accompagner. Les tables pour poser les verres. Et c’est tout. La musique est l’attrait principal du lieu. Pour le montrer, les gérants prennent le temps de me détailler un à un les équipements qu’ils ont choisi pour mettre en avant le son. Enceintes, platine, ampli, console de mixage : tout a été choisi pour offrir la meilleure expérience sonore aux visiteurs. De quoi plaire aussi aux DJs de passage dans le lieu. 

La musique avant tout.

Un bon son implique un bon matériel. Les trois gérants le savent. Il n’ont rien laissé au hasard, de l’achat du matériel au placement de chaque équipement sonore.

 

L’électro n’est plus à l’heure de sa découverte. Elle a trouvé son public depuis longtemps. Et nombre de styles sont apparus. Ici, vous pourrez par exemple écouter principalement de la tech house. Le parti-pris d’un petit lieu permet de mettre en avant des artistes locaux et émergents qui veulent commencer à mixer dans des lieux publics. 

C’est le cas du collectif Club Chameau dont fait partie Vincent Durani.

Les artistes toulousains profitent de cette nouvelle scène pour se lancer

Vincent Durani
Vincent Durani fait parti des DJs profitant de l’ouverture du bar pour avoir un lieu dans lequel mixer. Portrait réalisé par @Tryller

 

L’artiste est ingénieur informaticien de profession. Comme Camille, Marcel ou Nicolas, le Jenja et l’électro ne sont pas un gagne-pain. Comme eux, il est toulousain. 

Vincent mixe depuis de nombreuses années. À 32 ans, il sait que l’électro ne le rendra sûrement pas riche ou célèbre. Il continue de mixer par pur plaisir. Pour ce que lui fait ressentir la musique quand il la joue.

Après avoir fait ses études à Paris et y être resté quelques années, il est redescendu dans sa ville d’origine. Dans ses valises, il ramène plusieurs expériences de mixage avec un collectif parisien. Il intègre d’abord un collectif puis s’en détache pour monter son label «Toujours Plus Records ». Il crée ce dernier avec un ami. L’équipe de « Toujours Plus Records » est faite de 7 à 8 personnes qui ont chacune une compétence à apporter, de la création graphique à l’expertise musicale. Leur volonté est de ne plus s’arrêter qu’aux soirées. Il veulent produire plus avec ce « label qui [leur] ressemble.»

Le meilleur moyen de suivre l’actualité du bar est de suivre leurs pages Facebook et Instagram sur lesquelles ils annoncent les prochains DJs.

 

La crise sanitaire aura raison de leurs ambitions. Le temps a consacrer manque à toutes les personnes qui font ça dans leurs heures perdues. Le Jenja apparait comme une opportunité. Alors que la fusion de « Toujours Plus Records » se fait avec le « Club Chameau », le Jenja ouvre ses portes. Et l’un des trois fondateurs est un ami du DJ.

Le « Club Chameau », est né d’un groupe d’amis qui se sont connus pendant leurs études de médecine. Avec l’absorption du label de Vincent, le « Club » s’agrandit et devient résident des jeudis soirs au Jenja. Le mix qui vous ambiance depuis le début de l’article est l’œuvre d’un des DJ du groupe, Peter.

Le rapprochement entre le Jenja et le collectif s’est donc fait naturellement. Vincent reconnaît les qualités du lieu, du matériel aux boissons proposées. Il s’enthousiasme : 

« Ca fait longtemps que je n’avais pas pris autant de plaisir à mixer dans un bar »

Du plaisir, il en prendra aussi le 5 février prochain. À l’occasion de la sortie de son premier album, le Jenja lui laisse la place pour mixer ce samedi soir là. Le projet lui a pris un an. De l’enregistrement à la production, jusqu’à sa diffusion, Vincent voit la sortie de « Journey » comme un défi personnel pour voir ses limites.

Là encore il sait qu’il n’aura pas de retours sur investissement. Mais le but n’est toujours pas là pour lui.

 

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Une publication partagée par Club Chameau 🐫🐫🐫 (@club_chameau)

Les soirées du Jenja commencent à être partagées sur les réseaux sociaux. Ici, l’ambiance créée par le mix de Peter ressort de la story Instagram du Club Chameau.

Toulouse, territoire d'électro et de « l'écouter local »

« Écouter local. » Lorsque vous tapez ces termes accolés sur le moteur de recherche d’actualités le plus connu au monde (non pas Yahoo), une seule récurrence sort. Celle d’un article de la Dépêche du Midi dans lequel un écrivain toulousain explique qu’en plus de consommer local, il « écoute local ». La coïncidence est trop belle pour ne pas la noter.

L’écouter local, c’est choisir des artistes qui viennent de notre territoire. Le grand intérêt de cette approche reste de pouvoir aller aux concerts des personnes que l’on écoute. Alors que nombre d’artistes sont disponibles sur les plateformes, l’écouter local est une manière de profiter de la richesse musicale et de la multiplicité d’artistes qui composent l’endroit que nous habitons. 

L’histoire de l’électro foisonne d’anecdotes,. après ce quiz vous en connaitrez sept d’entre-elles.

 

Toulouse n’est pas en manque du côté de la scène électro. Les clubs tels que le Connexion ou le Bikini fonctionnent depuis nombre d’années.

En parallèle, des initiatives se montent. Nouvelles, comme les « Midis-chill », des DJ-sets électros organisés au Couvent des Jacobins.

Ou plus anciennes, comme le Festival Electro Alternativ. La seixième édition à eu lieu en septembre 2021. Multi lieux et multi styles, le festival se veut éclectique. Et de plus en plus paritaire. De quoi faire monter de nouvelles têtes féminines de la scène locale. Aux manettes, l’association Regarts pense son festival comme un mix de la scène locale, nationale et internationale.

Cléa Stagnaro, apprentie en communication dans la structure, nous explique un des paradoxes de la scène électro à l’échelle nationale. 

« Alors que dans d’autres pays on connaît et on apprécie les DJs français, on a l’impression que ces derniers sont moins connus dans leur propre pays »

En plus de la programmation du festival qui laisse de la place aux artistes locaux, l’association gère aussi un incubateur. Le but de ce dernier est de porter des artistes émergents en les accompagnant.

L’électro locale se construit sur Toulouse dans les associations, dans les garages des DJs et dans les lieux qui leur donnent la place de se lancer. Même si l’année 2022 ne commence pas de la meilleure des manières pour le Jenja avec des restrictions qui l’obligent à fermer pour janvier, cela ne fait pas oublier les deux premiers mois encourageants. L’âme du lieu renaît chaque soir au rythme des sets. Les DJs ont d’ores et déjà prient leurs marques. Les gérants suivent le pas.

Pour profiter d’un son certifié « 100% local »  et pour danser, se balancer, chalouper, se trémousser ou valser, rendez-vous (gratuitement) au 56 rue des Blanchers.

Photo des personnes dansant dans le bar.
Les danseurs n’ont pas tardé à envahir le lieu dès le mois de décembre. © Camille Blanc

Jenja

56 rue des Blanchers – Toulouse  |  06 15 27 17 02

Jeudi & vendredi – 20h à 2h | Samedi – 20h à 3h   –  Entrée gratuite

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