L’échec universitaire, 4 mahorais sur 5 concernés

Ayra RAICHAD TAMBIZARA

L’échec universitaire, 4 mahorais sur 5 concernés

L’échec universitaire, 4 mahorais sur 5 concernés

Ayra RAICHAD TAMBIZARA
10 janvier 2022

Comme chaque année, ils sont nombreux à s’envoler vers l’hexagone dans le but de poursuivre leurs études. Parmi ces 38 000 étudiants ultramarins, 50 % sont mahorais et malheureusement, ils enregistrent le plus haut taux d’abandons universitaire en France. Mais alors pourquoi ce public serait-il plus touché par ce phénomène d’échecs que les autres ?


Abritée dans l’océan Indien à plus de 8000 km à vol d’oiseau de Paris, Mayotte ou communément appeler par ses habitants « Maoré » est agencée au Nord-ouest de Madagascar et à l’Est du Mozambique. Originellement membre de l’archipel des Comores qui est aujourd’hui composé de trois îles dont Anjouan, Mohéli, Grande-Comore, la plus jeune collectivité française entretient dorénavant des relations hostiles avec ses voisines en raison de son statut. Bordée par 185 kilomètres de côtes, l’archipel d’îlots volcaniques comprend 280 000 habitants. Sa singularité réside dans son climat, sa nature et sa culture. Décoré par un lagon de 1100 km2 et d’une double barrière corallienne qui la ceinture, ce territoire français d’exception est le 1er en outre-mer à être décrété Parc Naturel Marin.

Concernant leur culture, les mahorais sont en très grande majorité musulmans. En effet, dans ce havre de paix, l’éducation religieuse musulmane dès le plus jeune âge se mêle aux croyances mélangeant héritage culturel arabe, africain et malgache. Cependant, cette petite île recueille d’autre singularité dont:

L'absence d'accompagnement

« Dès l’arrivée à l’aéroport, je suis confrontée aux premières difficultés, prendre le train et s’orienter se révèle alors être une vraie épreuve. Je suis accueilli par mes cousines à Dunkerque en attendant de trouver un logement. Je n’ai pas de chambre universitaire ainsi je loue une chambre dans le privé. Le jour de la rentrée, on m’informe que je suis inscrite à l’antenne de Cambrai et non à Valenciennes même, le choc. Je ne comprends pas vraiment ces histoires d’antenne (ce qui témoigne de mon ignorance du fonctionnement du supérieur). Il faut que je me présente en cours, or je n’ai pas les moyens de me déplacer jusqu’à Cambrais. Je ne pouvais pas faire grand-chose avec moins de 500 € à mon arrivée. J’ai tout dépensé pour le logement et j’espérai recevoir la prime d’installation de la DASU qui se fait toujours attendre. Je compte sur la compréhension de la part de mes nouveaux propriétaires. Le monsieur a voulu tirer profit de la situation en proposant de me rembourser contre des faveurs sexuelles heureusement la venue de sa femme m’a peut-être sauvé d’une expérience beaucoup plus traumatisante. Ils acceptent finalement de me donner une partie de l’argent. Ils me raccompagnent dans l’appartement et récupèrent les clefs, de peur que je parte avec. On peut comprendre que c’est déjà difficile d’accorder sa confiance à un inconnu et encore moins à une étrangère. C’est alors qu’on se demande ce qui nous a pris de nous embarquer dans une telle galère. Il est difficile de partager ces difficultés avec sa famille pour ne pas les inquiéter. Dans le train pour Cambrai, je prends ma première amande, le choix est vite fait entre réduire mes chances d’avoir un endroit où dormir ou payer un billet de train. » relate, Nassabia Ali Saanda, doctorante mahoraise en Education Psychologie Information Communication

Ainsi après l’obtention du baccalauréat, la majorité des nouveaux bacheliers mahorais poursuivent leurs études en France hexagonale. Cette mobilité majoritaire se justifie par le manque de formation supérieure proposé sur l’île à savoir que l’oasis arbore une seule université de lettres. Ainsi la première difficulté à laquelle se heurte les étudiants mahorais est l’élaboration et l’acheminement du voyage pour l’hexagone. En matière d’organisation, ce déménagement impose une préparation de longue haleine à savoir un an de recherches et de négociation. Engendrant à profusion des démarches, ce voyage est synonyme de demandes de bourse et de logement, de création de compte bancaire, de souscription à une assurance logement et tiers, d’achat de billets de train et d’avion, etc.

Comme vous l’aurez compris, ces difficultés sont affrontées seules par les jeunes bacheliers mahorais étant donné l’absence d’accompagnement. Ainsi comme l’interview ci-dessous le confirmera, ils sont plusieurs à être livrés à eux-mêmes.

Les difficultés d’intégration



Pour ces jeunes qui ont déménagé à des milliers de kilomètres de chez eux, l’installation n’est pas toujours aisée et la distance peut être vécue comme une véritable épreuve.

« J’apprends à gérer le quotidien, la solitude et le sentiment d’exclusion en cours. J’ai des difficultés à m’intégrer dans la classe et créer des liens avec les autres. Disons que la distance culturelle est trop importante et me freinait à aller vers les autres par peur d’être non comprise ou rejetée.» explique, Nassabia Ali Saanda.

En raison de la forte distance socio-culturelle par rapport au reste de la France, les nouveaux étudiants de l’île au parfum rencontrent des difficultés à s’intégrer. L’une des adversités concerne l’adaptation au climat car, à Mayotte il n’y a pas d’été, pas d’hiver, pas d’automne et toutes les autres saisons. Ainsi, ces changements de temps et de température sont des vraies expériences et désorientent nos étudiants mahorais.

« À Mayotte, on ne connaît ni automne ni hiver. Alors en arrivant à Paris, il faut tout apprendre : quels vêtements acheter et comment se couvrir pour ne pas tomber malade », avoue Zayad, 19 ans.

En plus de tous « ces chamboulements », cette impossibilité d’inclusion provient également d’une appartenance forte à leurs cultures qui sont bien différentes de celles des métropolitains. Afin de comprendre cet isolement social, il est important de mettre en avant que les mahorais sont une population qui vit essentiellement en communauté. Ainsi ce dynamisme de groupe engendre un manque d’autonomie affectif et une dépendance vis-à-vis de la communauté, ce qui permet d’expliquer l’inadaptation et d’isolement que rencontreraient les étudiants mahorais en métropole au niveau micro c’est-à-dire en raison de la vie étudiante mais, également au niveau macro par la vie en France.

Cependant, le choc culturel se vit également différemment en fonction du milieu familial, en effet certain mahorais d’origine sociale modeste faisant leur étude en Hexagone sont peu accompagnés tandis que pour les jeunes issus de milieux sociaux plus privilégiés, notamment ceux qui se rendent dans des écoles où ils sont très encadrés, le choc culturel se fera ressentir, mais ils parviendront plus aisément à s’adapter. En addition à cela, L’apprentissage et la pratique du français limite l’intégration au
au sein de la société d’accueil. En effet, une bonne compréhension du français nécessite sa pratique au quotidien dans le cadre familial. Or, 1 mahorais sur 10 seulement déclare avoir parlé français durant son enfance.

« Subir des discriminations – du fait de leur origine géographique ou de leur couleur de peau – n’est pas rare pendant les études puis, plus encore, au moment de l’insertion professionnelle », ajoute la chercheuse Marine Haddad.

En outre, les étudiants des Outre-mer subissent également des remarques remplies de cliché et des discriminations qui viennent compliquer l’accès au logement et à certaines activités.

« Encore beaucoup de propriétaires refusent les cautions qui viennent d’outre-mer sous prétexte qu’elles ne seraient pas fiables » narre, Patrick Karam, vice-président du conseil régional d’Ile-de-France.

La massification de l’enseignement

« Le vrai coup dur survient au moment du rendu de la première note, en Droit. J’ai 6 et mon collègue mahorais 4. On est les seuls à avoir des notes aussi catastrophiques. Notre professeure dit alors à tous les autres étudiants ‘‘ils ont besoin d’aide, il faut les aider’’. Ces paroles m’ont tellement fait mal. Je me suis sentie stigmatisée, différente mais surtout pas à ma place. Pourquoi ils ont réussi et pas moi alors que j’avais beaucoup travaillé ? Qu’est-ce que j’ai loupé ? J’étais d’autant plus déstabilisé car j’ai toujours fait partie des meilleurs de classe jusque-là. J’étais tellement déçue car je ne comprenais pas pourquoi j’avais échoué.» avoue Nassabia Ali Saanda.

Ainsi, comme le prouvent les paroles précédentes, il y a un fort sentiment de retard scolaire et culturel qui peut se faire ressentir chez les étudiants mahorais confrontés au niveau de leurs camarades métropolitains, alors même qu’ils ont suivi les mêmes programmes. Cela peut s’expliquer par la situation de l’archipel de Mayotte. En effet, celui-ci évolue dans un contexte éducatif et scolaire assez préoccupant. De manière plus précise, les indicateurs de réussite y sont les plus bas de France et elle a le plus bas taux de Réussite au baccalauréat quelle que soit la filière.

Vers une prise de conscience

Ces difficultés engendrent des échecs et un abandon des études supérieures, mais également des suicides comme en 2015 avec l’étudiant mahorais, El Anfani Abdallah.

Cependant, depuis plusieurs années les conditions de vie des étudiants ultramarins en métropole ont été améliorées, notamment depuis la mobilisation de la Délégation pour l’égalité des droits des ultramarins. En effet, en plus des prestations sociales dues à tous les étudiants, les étudiants ultramarins ont droit au paiement d’un quatrième terme de bourse couvrant la période de juillet à septembre et compte tenu des difficultés liées à l’éloignement auxquelles sont confrontés ces étudiants, ils disposent en plus d’une priorité des logements.

Depuis peu, la mise en place et la création d’une plateforme en ligne pour aider les étudiants ultramarins à trouver un logement dans l’Hexagone a vu le jour accompagnée d’un projet de développement sur dix ans ont été mis en place, par le 101éme département intitulé « Mayotte 2025 ». Il a pour objectifs l’amélioration du système éducatif mahorais notamment en mettant en place la réduction des effectifs dans les classes, la suppression des rotations scolaires, etc.